REC - Mise en œuvre du recouvrement forcé - Saisies et ventes particulières - Saisie de biens incorporels : brevets et licences
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Les biens meubles incorporels que constituent les brevets et licences génèrent pour leurs propriétaires des droits d'exploitation, qu'ils exploitent directement ou qu'ils louent à des exploitants. Ces droits d'exploitation ont donc une valeur patrimoniale. La saisie et la vente de ces droits constituent pour les créanciers une voie de recouvrement forcé de leurs créances.
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Le caractère particulier des saisies-vente des brevets d'invention tient à ce qu'elles peuvent être pratiquées sans titre exécutoire, le créancier devant ensuite assigner le saisi en validité de la saisie. Le jugement rendu constitue pour le créancier le titre exécutoire, s'il n'en était pas déjà pourvu.
Il résulte des dispositions du code de la propriété intellectuelle que la saisie du brevet est effectuée par acte extrajudiciaire signifié au propriétaire du brevet, à l'Institut National de la Propriété Industrielle (INPI) ainsi qu'aux personnes possédant des droits sur le brevet.
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La saisie des licences octroyées par des autorités administratives n'a quant à elle pas été spécifiquement prévue par les textes régissant les procédures civiles d'exécution. Saisie de cette difficulté, la Cour de cassation a précisé, dans un avis relatif à la saisie d'une licence d'exploitation d'un débit de boisson, que la procédure de saisie des droits d'associé et des valeurs mobilières prévue aux articles 178 et suivants du décret n° 92-755 du 31 juillet 1992 était transposable, sous réserve d'adaptations.
I. Saisie de brevet
A. Définition du brevet
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Sur le plan juridique, la notion de brevet est clairement définie par le code de la propriété intellectuelle et notamment ses articles L611-1, L611-2 et L612-17. Un brevet est un titre de propriété industrielle protégeant une invention, délivré pour une durée de 20 ans à compter du dépôt de la demande, par une décision du directeur de l'INPI (Institut National de la Propriété Industrielle). Cette décision est publiée au bulletin officiel de la propriété industrielle et notifiée au demandeur.
Le brevet est délivré au terme de la procédure prévue aux articles L612-14 et L614-15 du code de lapropriété intellectuelle, qui donne lieu à l'établissement d'un rapport de recherche destiné à établir l'état de la technique.
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Les droits de propriété industrielle sont des droits de nature mobilière, qui recouvrent notamment les brevets d'invention, les dessins et modèles déposés et les marques de fabrique et de service par opposition au droit de propriété commerciale (droit de marque). Les droits visés par la section correspondent à ceux auxquels s'applique le régime des éléments d'actif immobilisé, codifié au1 de l'article39terdeciesducodegénéraldesimpôts.
B. Champ d'application
1. Brevets français
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Il s'agit des brevets d'invention produisant leurs effets en France, auxquels peuvent être adjoints des certificats complémentaires de protection (article L611-3 du code de la propriété intellectuelle).
Le demandeur ou son ayant cause est seul réputé avoir droit au titre de propriétaire industriel, même si plusieurs personnes ont réalisé l'invention indépendamment les unes des autres, s'il justifie de la date de dépôt la plus ancienne (article L611-6 du code de la propriété intellectuelle).
2. Brevets étrangers et européens
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Sont assimilables aux brevets français les brevets européens ou internationaux s'ils désignent la France (article L611-10 du code de la propriété intellectuelle).
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Par exception, les inventions portant sur un produit constitué totalement ou partiellement de matière reproductible spontanément ou dans un système biologique et contenant des informations génétiques sont brevetables (article L611-11, L612-22 et L613-11 du code de la propriété intellectuelle) ; toutefois, si un premier dépôt a été effectué dans un État non membre de l'Union de Paris ou de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), un droit de priorité attaché à ce dépôt n'a d'effets équivalents à ceux prévus par la Convention de Paris que sous réserve de réciprocité : l'État étranger doit accorder un droit de priorité équivalent, sur la base d'un premier dépôt d'une demande de brevet français, d'une demande internationale ou d'un brevet européen désignant la France (article L611-12 du code de la propriété intellectuelle).
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Tout brevet donne lieu au paiement de redevances annuelles, avec un délai de grâce de six mois assorti d'un supplément (article L612-19 du code de la propriété intellectuelle).
Les brevets dont la saisie présente un intérêt sont ceux pour lesquels la demande potentielle à court terme est notoire.
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Au regard des brevets européens, une convention faite à Munich le 5 octobre 1973 (« Convention de Munich ») permet de déposer à l'Institut français de propriété industrielle une demande de brevet européen, si le déposant a son domicile ou siège en France (article L614-2 du code de la propriété intellectuelle).
Les demandes sont ensuite transmises à l'Office européen des brevets (article L614-5 du code de la propriété intellectuelle).
Une demande de brevet européen peut être transformée en demande de brevet français si elle est compatible avec la convention de Munich (article L614-6 du code de la propriété intellectuelle).
Dans la mesure où un brevet français couvre une invention pour laquelle un brevet européen a été délivré au même inventeur ou à son ayant cause avec la même date de dépôt ou de priorité, le brevet français cesse de produire ses effets (article L614-13 du code de la propriété intellectuelle).
C. Modalités de la saisie
La formalité de la saisie-vente de brevets d'invention ou des droits assimilés est un acte d'huissier de justice.
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La saisie d'un brevet est effectuée par acte extrajudiciaire signifié au propriétaire du brevet, à l'Institut national de la propriété industrielle ainsi qu'aux personnes possédant des droits sur le brevet. Elle rend inopposable au créancier saisissant toute modification ultérieure des droits attachés au brevet (article L613-21 du code de la propriété intellectuelle).
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A peine de nullité de la saisie, le créancier saisissant doit, dans le délai prescrit, se pourvoir devant le tribunal, en validité de la saisie et aux fins de mise en vente du brevet (article L613-21 alinéa 2 du code de la propriété intellectuelle).
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Le délai prescrit par l'alinéa 2 de l'article L 613-21 précité est de quinze jours à compter de la date de la signification de la saisie prévue à l'alinéa 1er dudit article (article R613-51 du code de la propriété intellectuelle).
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Conformément aux dispositions du 1° de l'article R613-53 du code de la propriété intellectuelle figurent les actes ultérieurs affectant la demande de brevet ou du brevet sur le registre national des brevets.
Les modalités pratiques d'inscriptions sur ce registre sont définies par les articles R613-53 à R613-59 du code de la propriété intellectuelle.
Pour être opposable aux tiers, tous les actes transmettant ou modifiant les droits attachés à une demande de brevet ou à un brevet doivent être inscrits sur un registre, dit registre national des brevets, tenu par l'Institut national de la propriété industrielle (article L613-9 du code de la propriété intellectuelle),
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Selon l'article L615-17 du code de la propriété intellectuelle, seuls certains tribunaux de grande instance déterminés par voie réglementaire sont compétents pour les actions civiles et les demandes relatives aux brevets d'invention.
La liste de ces tribunaux ainsi que le siège et ressort des cours d'appel figure au tableau VI annexe de l'article D211-6-1 du code de l'organisation judiciaire : le tribunal de grande instance seul compétent en France pour connaître de toute action en matière de brevet d'invention est celui de Paris (article D631-2 du code de la propriété intellectuelle).
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Le tribunal a pour mission de vérifier la créance, valider la saisie, ordonner la mise en vente du brevet et organiser cette vente,
II. Saisie de licence
A. Saisissabilité des licences
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La procédure de saisie de licence vise à appréhender les droits pécuniaires liés à une licence d'exploitation accordée par l'administration, que ce soit une licence de taxi (article L3121-1 du code des transports) ou une licence de débit de boissons (article L3332-3 du code de la santé publique).
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Ni la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution, ni son décret d'application (décret n° 92-755 du 31 juillet 1992), ne prévoient de dispositif propre à la saisies de ces droits incorporels.
Cependant, l'article 59 de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution énonce que « tout créancier muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut faire procéder à la saisie et à la vente des droits incorporels, autres que les créances de sommes d'argent, dont son débiteur est titulaire ».
Par ailleurs, l'article 38 du décret du 31 juillet 1992 précise que « tous les biens mobiliers ou immobiliers, corporels ou incorporels appartenant au débiteur peuvent faire l'objet d'une mesure d'exécution forcée ou conservatoire, si ce n'est dans le cas où la loi prescrit ou permet leur insaisissabilité ».
Aussi, la Cour de cassation, dans un avis du 8 février 1999 (Cour de cassation, 8 février 1999, pourvoi n° 98-00015), s'est prononcée favorablement sur la saisissabilité de la licence d'exploitation d'un débit de boisson.
Cour de cassation
Avis
Audience publique du lundi 8 février 1999
N° de pourvoi: 98-00015
Publié au bulletin
« […] La licence n° IV d'exploitation d'un débit de boissons qui constitue un élément dissociable du fonds de commerce peut-elle être saisie comme une valeur mobilière conformément aux articles 178 et suivants du décret du 31 juillet 1992 ?
EST D'AVIS QUE :
La licence d'exploitation d'un débit de boissons de 4e catégorie constitue un droit incorporel saisissable. En l'absence de texte réglementaire de portée générale applicable à la saisie des droits de cette nature, ou de dispositions spécifiques à la saisie de cette licence qui n'est pas une valeur mobilière, il est possible, sous réserve des adaptations nécessaires contrôlées par le juge de l'exécution de transposer pour les opérations de saisie, la procédure définie aux articles 182 à 184 du décret du 31 juillet 1992, et, pour la vente, les dispositions des articles 189 à 192 du même texte. »
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Il convient d'appliquer cette solution de principe aux licences de taxi (TGI Lyon, 15 mai 2001, Juris-data n° 2001-143913).
B. Intérêt de la saisie et de la vente de licences
a. Saisie des licences de débits de boisson
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Les licences de débits de boisson sont délivrées :
- pour les communes à l'exception de Paris, par la mairie auprès de laquelle le requérant est tenu d'effectuer sa déclaration en vue de l'obtention d'une licence d'exploitation, du fait des pouvoirs de police du maire en matière de salubrité publique (article L2212-2 du code général des collectivités territoriales) ;
- pour Paris, la préfecture de police est habilitée à recevoir ces déclarations (article L2512-13, alinéa 2, du code général des collectivités territoriales).
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La seule licence représentant une réelle valeur patrimoniale est la licence de 4ème catégorie, dite licence IV. Elle correspond à l'autorisation de vendre pour consommer sur place toutes les boissons dont la consommation est autorisée (article L3331-1 du code de la santé publique).
Ce droit d'exploitation constitue un des éléments du fonds de commerce dont la valeur patrimoniale est réelle, puisque le nombre de licences exploitées est limité par l'administration pour des raisons d'ordre public.
Cependant, l'article L3333-1 du code de la santé publique énonce qu'un débit de boissons qui a cessé d'exister depuis plus de 3 ans est considéré comme supprimé et ne peut plus être transmis.
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Si la licence IV peut être saisie individuellement, sa vente indépendamment du fonds de commerce peut s'avérer difficile à mettre en œuvre. Aussi, la procédure de vente globale du fonds de commerce est elle plus fréquemment employée (Cf. BOI-REC-FORCE-50-10).
b. Saisie des licences de taxi
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La licence de taxi (article L3121-1 du code des transports) permet à son propriétaire ou son exploitant d'être titulaire d'une autorisation de stationnement sur la voie publique en attente de la clientèle.
Ces autorisations de stationnement sont délivrées unilatéralement et gratuitement par :
- le maire de la commune concernée (cas général, en application de l'article L2213-3-2° du code général des collectivités territoriales) ;
- ou par le préfet de police de Paris pour les « taxis parisiens », à savoir ceux desservant Paris intramuros, la petite couronne (départements 92, 93, 94), le parc des expositions de Villepinte et les aéroports parisiens d'Orly et de Roissy, en application, notamment, des règles dérogatoires de l'article L2512-14 du code général des collectivités territoriales et de l'article 9 du décret n° 95-935 du 17 août 1995 ;
qui en limite le nombre en fonction de critères d'ordre public.
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Les articles L3121-2 et L3121-3 du code des transports prévoient la faculté pour l'exploitant titulaire de la licence de taxi ou une société titulaire de licences de présenter à titre onéreux un successeur à l'autorité administrative qui a délivré la ou les autorisations de stationnement, sous des conditions de durée d'exploitation de la licence ou des licences énoncées à l'article L3121-2.
Les licences de taxi ont donc une valeur patrimoniale.
Il convient cependant de vérifier que les délais d'exploitation de l'article L3121-2 sont respectés avant d'engager la vente de la licence, car en l'espèce c'est cette faculté de présentation qui est cédée.
C. Modalités particulières de saisie des licences
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En application de l'avis de la Cour de cassation précité, il convient de s'appuyer sur la procédure de saisie des valeurs mobilières et droits d'associés définie aux articles 178 à 184 du décret du 31 juillet 1992, et, pour la vente, sur les dispositions des articles 189 à 192 du même décret (Cf. BOI-REC-FORCE-20-40), sous réserve de certaines adaptations.
1. Acte de saisie
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En vertu de l'article 182 du décret n° 92-755 du 31 juillet 1992, l'acte de saisie doit contenir à peine de nullité :
- les nom et domicile du débiteur ou, s'il s'agit d'une personne morale, sa dénomination et son siège social ;
- l'indication du titre exécutoire en vertu duquel la saisie est pratiquée ;
- le décompte des sommes réclamées en principal, frais et intérêts échus, ainsi que l'indication du taux d'intérêt ;
- l'indication que la saisie rend indisponibles les droits pécuniaires attachés à la licence dont le débiteur est titulaire ;
- la sommation de faire connaître l'existence d'éventuels nantissements ou saisies.
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Cette dernière mention qui fait obligation de déclarer l'existence d'éventuels nantissements prend une importance particulière en présence de nantissement d'un fonds de commerce incluant une licence de débits de boisson. En effet, à défaut de précisions, le nantissement du fonds de commerce appréhende la licence d'exploitation du débit de boissons qui en est un élément incorporel.
2. Lieu de signification de la saisie
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L'article 178 du décret n° 92-755 du 31 juillet 1992 énonce que « les droits d'associé et les valeurs mobilières dont le débiteur est titulaire sont saisis auprès de la société ou de la personne morale émettrice ».
Par analogie, l'acte de saisie devra donc tout d'abord être signifié à l'autorité administrative ayant délivré l'autorisation.
a. Saisie des licences de débits de boisson
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Les mairies et la préfecture de police de Paris tiennent un dossier au nom de l'enseigne du débit de boisson. Elle peuvent donc recevoir et archiver un acte de saisie.
Une fois réalisée la signification de l'acte de saisie à la mairie, la mutation juridique de la licence deviendra impossible, celle-ci étant rendue indisponible (article 29 de la loi n° 91-650 du 9 juillet1991). La mairie devra en informer tout nouveau déclarant.
b. Saisie des licences de taxi
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La saisie devra être signifiée à la mairie ou à la préfecture de police de Paris ayant accordé l'autorisation de stationnement, qui tient un registre recensant les bénéficiaires de ces licences ainsi que les transactions effectuées à titre onéreux avec leurs successeurs.
3. Dénonciation au débiteur
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Dans un délai de 8 jours, à peine de caducité, la saisie est portée à la connaissance du débiteur par acte d'huissier de justice.
En application de l'article 183 du décret n° 92-755 du 31 juillet 1992, l'acte contient à peine de nullité :
- une copie du procès-verbal de saisie ;
- en caractères très apparents, l'indication que les contestations doivent être soulevées, à peine d'irrecevabilité, dans le délai d'un mois qui suit la signification de l'acte avec la date à laquelle expire ce délai ;
- la désignation du juge de l'exécution compétent, qui est celui du domicile du débiteur ;
- en caractères très apparents, l'indication que le débiteur dispose d'un délai d'un mois pour procéder à la vente amiable de la licence saisie dans les conditions prescrites aux articles 107 à 109 ;
- la reproduction des articles 107 à 109.
D. Vente de licence
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Les articles 185 (certificat de non contestation) et 186 (pluralité de saisies) du décret n° 92-755 du 31 juillet 1992, doivent être considérés comme applicables.
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Les modalités de la vente doivent, sous certaines réserves, respecter les prescriptions des articles 189 à 192 du décret n° 92-755 du 31 juillet 1992 : à défaut de vente amiable dans un délai d'un mois à compter de la dénonciation de l'acte de saisi, et en l'absence de toute contestation, la vente forcée a lieu par adjudication, sous l'autorité d'un officier public ou ministériel habilité, après rédaction d'un cahier des charges contenant indication des conditions d'exploitation de la licence, notification de cet acte au débiteur saisi, sommation aux éventuels créanciers opposants d'en prendre connaissance chez la personne chargée de la vente et publicité.