Date de début de publication du BOI : 13/01/2014
Date de fin de publication du BOI : 04/12/2019
Identifiant juridique : BOI-CTX-RDI-30

CTX – Contentieux de la responsabilité - Champ d'application de la responsabilité

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Pour que la responsabilité de l’État puisse être engagée, en matière fiscale, le juge exige l'existence d'une faute des services des finances publiques ayant causé un préjudice au contribuable.

I. Existence d'une faute

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Toute faute des services des finances publiques est susceptible d'engager la responsabilité de l'administration.

À cet égard, les critères de responsabilité sont différents selon que la juridiction compétente est administrative ou judiciaire.

A. Juridictions administratives

1. Activités fiscales

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Toute décision illégale de l'administration fiscale, en matière d'assiette comme de recouvrement, est constitutive d'une faute, quelles que soient les difficultés d'appréciation d'une situation fiscale.

Ainsi, une faute commise par l'administration lors de l'exécution d'opérations se rattachant aux procédures d'établissement et de recouvrement de l'impôt est de nature à engager la responsabilité de l'État à l'égard du contribuable ou de toute autre personne si elle leur a directement causé un préjudice […]; l''administration peut invoquer le fait du contribuable ou, s'il n'est pas le contribuable, du demandeur d'indemnité comme cause d'atténuation ou d'exonération de sa responsabilité (Conseil d'État, arrêt du 21 mars 2011, n° 306225).

a. L'existence d'une faute

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Le champ d’application de la responsabilité de l’État du fait de l’action des services fiscaux concerne donc les opérations d’assiette de l’impôt, les opérations de contrôle et les rappels qui peuvent en résulter ainsi que les opérations liées au recouvrement.

En revanche, la réponse à une demande de rescrit ne constituant qu’un simple avis délivré au contribuable, une erreur commise à l’occasion du traitement d’une telle demande n’est pas de nature à engager la responsabilité de l’État.

La faute de nature à engager la responsabilité de l’État peut résulter soit d’erreurs purement matérielles (par exemple : envoi de documents fiscaux concernant un contribuable à un tiers, ou bien la perte de documents le concernant etc.), soit d’une erreur dans l’application de la législation fiscale.

S’agissant d’une erreur dans la mise en œuvre des dispositions de la loi fiscale, le principe selon lequel toute illégalité est une faute conduit à regarder toute imposition, primitive ou supplémentaire, abandonnée à la suite d’une réclamation contentieuse ou à la suite d’un dégrèvement d’office, comme fautive.

S’agissant des erreurs matérielles dans la procédure d’imposition (erreurs de saisie, adresse erronée, engagement de poursuites alors que le sursis de paiement a été demandé etc.), la jurisprudence actuelle du Conseil d’État n’a pas dégagé une règle générale permettant de qualifier toute erreur de faute de nature à engager la responsabilité de l’État. Pour cette catégorie d’erreurs, c’est l’existence d’un préjudice subi par le contribuable du fait d’une telle erreur qui sera déterminant.

Enfin, dans l’hypothèse où le demandeur d’indemnité est une collectivité locale qui se plaint d’avoir subi un préjudice du fait d’une sous imposition d’un contribuable aux impôts directs locaux, il appartient au demandeur de faire la démonstration de la réalité de l’erreur alléguée.

À cet égard, les demandes présentées par les collectivités, en amont d’une réclamation contentieuse, ne pourront être prises en compte que si le demandeur avance des éléments suffisamment pertinents et précis permettant de vérifier, sans autres recherches approfondies, la réalité de la sous imposition alléguée.

b. Le partage de responsabilité

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L’administration fiscale peut invoquer le fait du demandeur d’indemnité comme cause d’exonération ou d’atténuation de sa responsabilité.

L’arrêt du Conseil d'État du 21 mars 2011 n° 306225 (cf. I-A-1 § 20) constitue à cet égard une évolution significative de la règle de partage de responsabilité. Jusque là, le fait du demandeur pouvait être invoqué afin de justifier de l’existence de difficultés particulières d’appréciation d’une situation fiscale et, par suite, déterminer l’application du régime de la faute lourde (aujourd'hui abandonnée). Désormais, le fait du demandeur devient une cause d’exonération ou d’atténuation de la responsabilité de l’État.

Pour que le juge puisse retenir un tel partage de responsabilité, il doit être démontré que le demandeur d’indemnité a fait preuve d’un comportement qui a pu gêner l’action de l’administration et, ainsi, contribuer à l’erreur commise par le service.

Il en sera ainsi lorsque l’imposition est abandonnée à la suite d’une production tardive de justificatifs ou lorsque elle a été établie à la suite d’erreurs déclaratives du contribuable lui-même.

Mais le partage de responsabilité pourra résulter également du comportement du contribuable, notamment dans le cadre d’opérations liées à la mise en évidence de pratiques frauduleuses et de contrôle fiscal.

Au total les faits du demandeur que l’administration pourra invoquer sont nombreux.

A simple titre d’illustration, il peut s’agir : d’une participation à un schéma de fraude ou d’évasion fiscale, d’une organisation d’insolvabilité ou de manœuvres faisant obstacle au recouvrement, d’une opposition à contrôle fiscal, de malice ou malveillance, de manœuvres dolosives, d’une attitude menaçante ou de nature à faire pression sur le vérificateur, d’un comportement déloyal, d’absence ou manque de coopération ou de disponibilité, de la rétention de documents, d’explications confuses ou tardives, d’une présentation d’une comptabilité imparfaite etc.

2. Activités extra-fiscales

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Tous les actes en relation avec l'activité fiscale, mais ne se rattachant ni au fond de l'impôt, ni à son recouvrement, donnent lieu à réparation sur la base de la faute simple, dans les conditions de droit commun.

La mission de renseignements fait partie des activités extra-fiscales des services des finances publiques.

La fourniture de renseignements erronés peut engager la responsabilité de l'État (Conseil d’État, arrêt du 8 juillet 1988, n° 77118).

La responsabilité de l'État est également engagée sur la base d'une faute simple, en cas de dégâts matériels commis lors d'une vérification ou en cas de dommages causés par la perte de la comptabilité d'un particulier (Conseil d'État, arrêt du 2 novembre 1957).

B. Juridictions judiciaires

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Les juridictions judiciaires jugent comme en matière de droit commun.

Ainsi, la Cour de Cassation déclarait, dès 1872 (Cour de Cassation, chambre criminelle, arrêt du 15 juin 1872) « que le principe de la responsabilité écrit dans les articles 1382 et 1384 du code civil, est général, qu'il s'applique même aux administrations et aux régies investies du droit de poursuivre devant les tribunaux la répression des contraventions fiscales, que, pour qu'il en fût autrement, il faudrait un texte formel qui eût dérogé en ce qui concerne ces administrations aux principes du droit commun, mais que ce texte n'existe pas, qu'en effet, l'article 29 du décret du 1er germinal an XIII ne renferme qu'une disposition particulière applicable au cas de saisie- que cet article a surtout pour objet de limiter dans ce cas les conséquences de la responsabilité générale et de les renfermer dans des proportions qu'il a pris soin d'avance de déterminer, qu'en dehors de ce cas, qui est spécialement réservé, la responsabilité existe pour toutes les fautes préjudiciables de l'Administration ».

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Mais une condamnation n'était prononcée qu'autant qu'il y avait eu fraude, faute grave ou mauvaise foi (Cour de Cassation, chambre civile, arrêt du 28 janvier 1880 ; Tribunal civil Seine, 3 décembre 1943, RE 12816 ; Tribunal civil Montpellier, 20 décembre 1945, RE 12509).

Ainsi, la Cour de Cassation reconnaît, avec le tribunal civil, que « le recours à une action en justice ne constitue une faute pouvant entraîner condamnation à des dommages et intérêts que lorsqu'on se trouve en présence d'un acte de malice ou de mauvaise foi ou d'une erreur grossière, équipollente au dol » (Cour de Cassation, chambre commerciale, arrêt du 28 mars 1960, bulletin des arrêts des chambres civiles, 3ème partie, n°116, p. 106).

De même, l'administration ne peut être condamnée à des dommages-intérêts :

- lorsqu'elle réclame un droit qu'elle estime dû (Tribunal civil Fontenay le Comte, 12 août 1879) ;

- lorsqu'elle a engagé des poursuites qui sont ensuite reconnues mal fondées, dès lors que le tribunal ne relève à son encontre, ni dol, ni erreur grossière, ni acte de mauvaise foi (Cour de Cassation, chambre civile, arrêt du 18 novembre 1930, RE 9447 ; Tribunal civil Seine, 17 mars 1894 et 24 février 1916, RE 6433).

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Mais l'administration engage sa responsabilité même en l'absence de mauvaise foi ou d'animosité personnelle de ses agents lorsque, dans la mise en œuvre des voies d'exécution, elle commet des erreurs grossières en agissant sans preuves solides et sans les précautions qui s'imposent en la matière (Cour de Cassation, chambre commerciale, arrêt du 28 mars 1960 précité).

Cette notion de manque de prudence se retrouve dans un arrêt de la Cour de Cassation qui a estimé que l'administration avait engagé sa responsabilité en exerçant le droit de préemption le dernier jour du délai de trois mois calculé à tort à compter de la présentation à l'enregistrement d'un acte rectificatif d'un précèdent acte présenté à la formalité (Cour de Cassation, chambre commerciale, arrêt du 20 mars 1990, n° 88-13382).

II. Existence d'un préjudice

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Pour que la responsabilité de l'administration soit engagée, le requérant doit établir l'existence d'une part, d'un préjudice direct et certain, et d'autre part, d'un lien de causalité entre ce préjudice et l'action fautive de celle-ci.

A. Un préjudice réel

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L'existence même d'un préjudice ne saurait résulter du seul paiement de l'impôt (Conseil d’État, arrêt du 21 mars 2011, n°306225)

En effet, le contribuable qui obtient le dégrèvement de l'impôt contesté n'a subi aucun préjudice lié au paiement de l'impôt; Si ce contribuable ne bénéficiait pas du sursis de paiement, il obtiendrait le remboursement de l'impôt versé, assorti des intérêts moratoires sur le fondement de l'article L208 du Livre des procédures fiscales.

Remarque : Une action en responsabilité de l’État dont l'objet serait d'obtenir en réparation du préjudice allégué la restitution du montant de l'impôt acquitté et que le contribuable n'a pas contesté, ou dont il n'a pas obtenu le dégrèvement devant le juge de l'impôt, revêtirait un caractère irrecevable à raison de l'existence d'un recours fiscal parallèle lui permettant d'aboutir à un résultat identique à son action indemnitaire (en ce sens notamment : CE, arrêt du 11 octobre 1978, n° 08769 ; CE, arrêt du 30 octobre 1996, n° 141043 et CE, arrêt du 19 novembre 2009, n° 304632).

B. Un préjudice direct et certain

110

Pour donner lieu à réparation, le préjudice doit être imputable à l'administration, c'est-à-dire résulter de son fait (Conseil d’État, arrêt du 26 juin 1992, n° 75558).

Le demandeur doit donc démontrer que le préjudice qu'il invoque est certain et qu'il se rattache directement à l'activité fautive de l'administration fiscale.

Remarque : A cet égard, il lui incombe de fournir, à l'appui de sa démonstration, les pièces justificatives établissant la réalité du préjudice qu'il estime avoir subi et d'en chiffrer le quantum de manière objective.

120

Ce faisant,aucun préjudice ne saurait être indemnisé s'il n'est pas certain : les préjudices futurs et éventuels ne sont donc pas indemnisables.

Est exclu le préjudice simplement possible et éventuel (Cour administrative d'appel de Bordeaux, arrêt du 28 juin 1994, n° 93BX00796).

130

En application de ces principes, la jurisprudence (administrative) fournit les illustrations suivantes :

1. Lien direct et certain établi

140

Présentent un lien direct avec les fautes commises par les services d'assiette et de recouvrement à l'occasion du contrôle d'une société :

- la perte des rémunérations qu'eut continué à percevoir un dirigeant de cette société, si les agissements des services fiscaux, ayant entraîné la liquidation judiciaire de la société, n'y avaient fait obstacle,

-.ainsi que les troubles graves de toute nature apportés à ses conditions d'existence, en particulier la dégradation de son état de santé (Conseil d'État, arrêt du 16 juin 1999, n° 177075 à rapprocher de la décision n° 306225 du 21 mars 2011, citée au I-A-1 § 20).

2. Lien direct et certain dénié

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N'est pas en droit d'obtenir réparation un médecin conventionné qui, sur la foi d'une instruction administrative erronée, n'a pas tenu complètement son livre-journal, dès lors que le préjudice qu'il a subi trouve sa cause, non dans la faute commise par l'administration, mais dans le fait qu'il s'est abstenu de produire en temps utile les déclarations de revenus auxquelles il était tenu, se plaçant ainsi en situation de taxation d'office, ce qui l'obligeait, dans la procédure contentieuse, à supporter la preuve du caractère exagéré des bases retenues par l'administration, d'où il résulte qu'il n'y avait pas de lien direct entre le préjudice allégué et la faute de l'administration (Conseil d'État, arrêt du 8 juillet 1988, n°77118).

A également été rejetée l'action en responsabilité engagée par une société créancière d'une autre société fondée sur le comportement de l'administration à l'égard de cette dernière société (Conseil d’État, arrêt du 8 août 1990, n° 54500).

Enfin, l'interprétation illégale de textes par l'administration -qui a dissuadé un contribuable de solliciter un agrément- n'est pas constitutif d'un préjudice certain envers ce dernier qui n'avait pas de chances sérieuses de l'obtenir (Conseil d’État, arrêt du 20 février 1974, n° 84722).

C. Un lien de causalité entre le préjudice et la faute

160

Seul le préjudice qui résulte directement de la faute de l'administration fiscale est indemnisable.

Remarque : Il incombe donc au demandeur d'établir cette relation de cause à effet.

Ainsi :

- La perte subie par le dirigeant d'une somme inscrite au crédit du compte courant ouvert à son nom dans les écritures de la société et constituant donc un élément du passif de la société résulte de sa situation de créancier de la société et ne peut être regardée comme découlant directement des agissements fautifs de l'administration de sorte que sa réparation n'est pas dissociable de celle qui a été allouée à la société (Conseil d’État, arrêt du 16 juin 1999, n° 177075).

- La délivrance, par la conservation des hypothèques, d'un certificat inexact sans influence sur l'existence d'un préjudice, n'entraîne pas une indemnisation (Conseil d’État, arrêt du 23 février 1977, n° 03495).

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Au demeurant, et d'une façon plus générale, il est précisé que, par principe, le lien de causalité direct entre l'illégalité commise par l'administration fiscale et le préjudice ne pourra être établi si celle ci établit soit qu'elle aurait pris la même décision d'imposition si elle avait respecté les formalités prescrites (c'est-à-dire les règles de procédure), ou fait reposer son appréciation sur des éléments qu'elle avait omis de prendre en compte, soit qu'une autre base légale que celle initialement retenue justifie l'imposition

En ce sens Conseil d’État, arrêt du 21 mars 2011 n°306225 (cf. I-A-1 § 20).

En d'autres termes, le requérant qui bénéficie d'un dégrèvement de son imposition du fait d'une inexacte motivation en droit ou en fait de l'imposition ou d'une erreur de procédure, n'est par conséquent pas en droit de demander des dommages et intérêts en réparation de son préjudice, quand bien même celui-ci serait avéré, dès lors que l'administration établit que l'impôt aurait pu être maintenu.