REC – Mise en œuvre du recouvrement forcé - Saisies mobilières de droit commun - Détournement d'objets saisis
1
L'article L141-2 du code des procédures civiles d'exécution (CPCE) portant réforme des procédures civiles d'exécution affirme l'indisponibilité des biens qui sont l'objet d'un acte de saisie. Il dispose en outre : « Si la saisie porte sur des biens corporels, le débiteur saisi ou le tiers détenteur entre les mains de qui la saisie a été effectuée est réputé gardien des objets saisis sous les sanctions prévues par l'article 314-6 du code pénal ». Le débiteur saisi demeure propriétaire jusqu'à la vente des biens placés sous main de justice mais il ne peut en disposer au préjudice du créancier saisissant.
L'indisponibilité dont sont ainsi frappés les biens saisis doit être entendue en ce sens que les actes de disposition, aliénation à titre gratuit ou onéreux, mais aussi constitution de gage, accomplis par le débiteur, quoique valables entre les parties, sont inopposables au créancier saisissant.
En disposant du bien saisi sans avoir obtenu la mainlevée de la saisie ou le consentement à l'acte de la part du créancier saisissant, le débiteur commet une faute qui est soumise à des sanctions pénales et qui engage sa responsabilité civile et le rend passible de dommages-intérêts.
La plainte pour détournement d'objet saisi, action à caractère pénal, s'inscrit dans le cadre de l'action en recouvrement définie à l'article L252 du LPF, menée par le comptable de la DGFIP. Celui-ci est juridiquement compétent pour saisir le procureur de la République d'une plainte, puis pour produire devant le tribunal de grande instance statuant en matière correctionnelle des conclusions de partie civile visant à obtenir la condamnation à des dommages-intérêts.
Le fait, pour une personne saisie, de détruire ou de détourner un objet saisi entre ses mains en garantie des droits d'un créancier et confié à sa garde ou à celle d'un tiers constitue un délit sanctionné par l'article 314-6 du code pénal, Il convient donc d'examiner les éléments dont la réunion permet l'engagement de la procédure au regard du droit pénal.
I. Constitution du délit
10
La constitution du délit résulte de la réalisation d'une condition relative à la situation du bien, de l'identification des auteurs du délit et de la réunion des éléments constitutifs du délit.
A. Conditions préalables à l'existence du délit
20
La caractérisation du délit est soumise à des conditions préalables qui résultent de l'économie des voies d'exécution.
1. Existence d'une saisie préalable
30
L'article L141-2 du code des procédures civiles d'exécution (CPCE),1èr alinéa, pose le principe général que « l'acte de saisie rend indisponibles les biens qui en sont l'objet ». La saisie constitue donc la condition indispensable à la caractérisation du délit de détournement d'objets saisis.
40
A cet égard, la jurisprudence rendue sous l'empire de l'ancien article 400 alinéas 3 et 4 du code pénal conserve toute sa valeur.
Il a été jugé que le délit n'est pas constitué lorsque les biens ne sont pas placés sous main de justice. Au demeurant, la notion de détournement dépasse les cas de saisies proprement dits mais concerne toutes les situations dans lesquelles des immeubles ou des meubles ont été placés sous l'autorité de la justice.
50
Il n'appartient pas au saisi d'apprécier la validité ou la nullité de la saisie, quand bien même elle viendrait à être annulée postérieurement par une décision de justice.
En effet, l'infraction pénale est constituée, même si la procédure suivie pour la saisie comporte des irrégularités susceptibles d'en faire prononcer la nullité qui conduiraient à écarter sa mise en œuvre.
2. Personne constituée gardienne de la chose saisie
60
Il avait été jugé, sous l'empire des anciennes voies d'exécution, que, lorsque le saisi avait refusé d'être constitué gardien de la chose saisie et quand, malgré ce refus, l'huissier n'avait pas constitué un autre gardien en la personne des tiers, aucun cas d'application de l'ancien article 400 du code pénal n'était possible, non à cause d'une nullité de la saisie dont le juge pénal n'a pas à connaître mais parce que l'un des éléments essentiels du délit n'était pas présent.
La réforme des procédures civiles d'exécution a supprimé cette difficulté. Ainsi, L'article L141-2 du code des procédures civiles d'exécution (CPCE), alinéa 2, dispose que si la saisie porte sur des biens corporels, le débiteur saisi ou le tiers détenteur entre les mains de qui la saisie a été effectuée est réputé gardien des objets saisis sous les sanctions prévues par l'article 314-6 du code pénal.
70
Les développements qui suivent seront essentiellement consacrés aux biens ayant fait l'objet d'une saisie-vente, ce qui est la situation la plus fréquemment rencontrée.
B. Personnes susceptibles d'être poursuivies : l'auteur du délit et les complices
80
La répression du délit n'est applicable qu'au saisi lui-même ou à ses complices (Cass. crim.,7 novembre 1973, pourvoi n° 72-91463). Le conjoint du débiteur, ses descendants et ascendants qui l'ont aidé dans le détournement sont punissables des mêmes peines.
Lorsque le saisi est une société, seul le mandataire social peut être poursuivi comme auteur principal (Cass. crim., 7 novembre 1973, pourvoi n°72-91463).
Le simple préposé d'une personne morale qui n'a reçu copie du procès-verbal de saisie qu'en tant que représentant local de la société sur laquelle il n'exerce aucun contrôle ne saurait être assimilé au saisi et poursuivi comme tel.
C. Éléments constitutifs du délit
90
L'article 314-6 du code pénal dispose que le fait par le saisi de détruire ou de détourner un objet saisi, entre ses mains en garantie des droits d'un créancier et confié à sa garde ou à celle d'un tiers, est puni de trois ans d'emprisonnement et de 375 000 € d'amende.
La tentative de l'infraction prévue au présent article est punie des mêmes peines.
1. Élément matériel du délit
100
Il y a détournement lorsque l'objet saisi est enlevé et déplacé.
Constitue un détournement le déplacement de l'objet saisi en vue de gêner l'exercice de la saisie et de mettre le bien hors d'atteinte du créancier saisissant (Cass. crim., 28 avril 1982, pourvoi n° 81-90839).
Il n'est pas nécessaire qu'il y ait en outre dissipation.
Ainsi, il a été jugé qu'il y a détournement punissable lorsque le saisi a donné en gage à l'un de ses créanciers un des objets compris dans la saisie.
110
A été également sanctionnée l'aliénation des biens sans l'accord des créanciers.
Le délit peut être constitué même s'il n'y a pas déplacement. Il en est ainsi lorsque le fonds de commerce et ses accessoires est vendu à un tiers de bonne foi à l'insu du créancier saisissant, même si les objets n'ont pas été déplacés de l'endroit où ils se trouvaient au moment de la saisie.
Le délit est également constitué dès lors qu'une résistance non motivée et persévérante est opposée à la mise en demeure du créancier qui fait suite à la saisie.
2. Élément moral
120
L'intention frauduleuse existe dès lors que le prévenu avait connaissance de la saisie (Cass. crim., 28 avril 1982, pourvoi n° 81-90839).
II. Engagement de l'action
A. Constatation du délit
130
Le plus souvent, c'est à l'occasion de l'établissement d'un procès-verbal de vérification des biens saisis établi soit par l'officier ministériel chargé de la vente dans les conditions prévues à l'article R221-36 du CPCE, soit par un créancier du débiteur lors de son opposition à la première saisie diligentée par le créancier saisissant, qu'est constaté la disparition, la détérioration ou le détournement d'un des objets saisis confiés à la garde du débiteur ou d'un tiers.
Quelle que que soit la décision qui serait ultérieurement prise par le comptable public d'engager la procédure pénale de détournement d'objets saisis, l'officier ministériel, qui constate, au moyen d'un procès-verbal, ce délit, a l'obligation aux termes de l'article 40 du code de procédure pénale, d'en informer sans délai le procureur de la République en lui transmettant ledit procès-verbal.
B. Nature de l'action en justice
140
Le détournement d'objets saisis constituant un délit, l'action en justice permet une condamnation pénale et comme telle, a un caractère d'exemplarité.
Toutefois, cette procédure vise également à l'allocation de dommages-intérêts au Trésor afin de compenser un préjudice qui ne saurait être confondu avec la créance, cause de la saisie (Cass. crim., 13 novembre 1969, pourvoi n° 69-90656 ; 11 octobre 1972, pourvoi n° 71-91315 ; 9 juin 1980, pourvoi n° 79-91758).
Dans ces conditions, ces dommages-intérêts constituent une créance chirographaire, qui ne peut être recouvrée que par la mise en œuvre de voies d'exécution de droit commun (et non par voie d'avis à tiers détenteur).
C. Conséquences à l'égard du tiers acquéreur
150
Le tiers acquéreur des meubles saisis qui ignorait la saisie et qui a donc acheté de bonne foi est protégé par les dispositions de l'article 2276 du code civil. Les créanciers saisissants et opposants ne pourront pas agir contre le tiers acquéreur, mais seulement poursuivre le débiteur saisi en dommages-intérêts lors de sa citation devant la juridiction pénale en détournement d'objets saisis.
160
En revanche, le tiers acquéreur qui connaissait l'existence de la saisie est réputé de mauvaise foi, et peut être obligé à restituer les meubles acquis, sans pouvoir exiger la restitution par les créanciers saisissants et opposants du prix qu'il a payé au saisi, restitution qu'il ne pourrait même pas poursuivre contre le saisi en raison de l'irrecevabilité de son action en application de l'adage « nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude ».
D. Prescription
170
La prescription de l'action qui est de trois ans court du jour où le détournement est commis, sauf si le saisissant démontre que des manœuvres frauduleuses l'ont empêché de connaître le délit. Dans ce cas, le point de départ de la prescription est le jour où le délit a pu être connu (Code de procédure pénale, art. 8).
En outre, la plainte pour détournement d'objets saisis tend à l'allocation de dommages et intérêts au Trésor.
La condamnation a donc le caractère d'une condamnation civile à dommages et intérêts et, comme telle, est régie, en ce qui concerne la prescription par l'article 133-6 du code pénal qui prévoit que les obligations de nature civile résultant d'une décision pénale devenue définitive se prescrivent d'après les règles du code civil.