BIC - Base d'imposition - Transfert indirect de bénéfices entre entreprises dépendantes - Contrôle et procédure de remise en cause des prix de transfert
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L'article 57 du code général des impôts (CGI) autorise expressément l'Administration à rectifier les résultats déclarés par les entreprises françaises relevant de l'impôt sur le revenu ou passibles de l'impôt sur les sociétés qui sont sous la dépendance ou qui possèdent le contrôle d'entreprises situées hors de France, du montant des bénéfices indirectement transférés à ces dernières, soit par voie de majoration ou de diminution des prix d'achat ou de vente, soit par tout autre moyen.
L'étude de l'article 57 du CGI conduit à examiner tant ses conditions d'application que la procédure applicable dans le cadre de sa mise en œuvre.
I. Conditions d'application de l'article 57 du CGI
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Pour se prévaloir des dispositions de l'article 57 du CGI, l'Administration doit, en premier lieu, établir l'existence de liens de dépendance entre l'entreprise française et l'entreprise étrangère ; cette condition n'est toutefois pas exigée lorsque le transfert s'effectue avec des entreprises établies dans des pays à fiscalité privilégiée au sens de l'alinéa 2 de l'article 238 A du CGI. En second lieu, il convient d'apporter la preuve de la réalité du transfert indirect de bénéfices au profit de l'entreprise étrangère.
A. Existence des liens de dépendance
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L'article 57 du CGI joue à l'égard,
- soit d'une entreprise française placée sous la dépendance d'une entreprise étrangère ;
- soit d'une entreprise française ayant sous sa dépendance une entreprise étrangère ;
- soit enfin d'une entreprise française placée, en même temps qu'une ou plusieurs entreprises étrangères, sous la commune dépendance d'une même entreprise, d'un groupe ou d'un consortium.
Puisque l'article 57 du CGI ne donne pas de définition de la notion de dépendance, la définition a été précisée par l'administration et la jurisprudence. La dépendance peut être juridique ou simplement de fait
1. Dépendance juridique
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Une entreprise française est placée sous la dépendance d'une entreprise étrangère, lorsque cette dernière possède une part prépondérante de son capital ou la majorité absolue des suffrages susceptibles de s'exprimer dans ses assemblées. Il en est de même lorsque l'entreprise étrangère exerce, au sein de l'entreprise française, directement ou par personnes interposées, des fonctions comportant le pouvoir de décision.
Remarque : Par personne interposée, il faut comprendre :
- les gérants, administrateurs, directeurs de l'entreprise dirigeante (et les membres de leur famille) ;
- toute entreprise placée elle-même sous la dépendance de l'entreprise dirigeante ;
- toute personne qui possède un intérêt dans le commerce ou l'industrie de chacune des entreprises, ou une part de leur capital.
Ainsi par exemple l'existence d'un lien de dépendance entre deux sociétés est établi lorsque la quasi-totalité du capital de la société française est détenu indirectement par la société étrangère, cette dernière exerçant en outre un contrôle sur les produits fabriqués par la société française (CE, arrêt du 25 janvier 1989 n° 49847).
En pratique, la détention de la majorité du capital (plus de 50 %) suffit à caractériser la dépendance.
C'est ainsi qu'un lien de dépendance a été considéré comme établi entre deux sociétés dont l'une détenait la majorité des actions ou des parts de l'autre et qui, par ailleurs, étaient administrées par les mêmes dirigeants ou administrateurs (CE, arrêt du 3 janvier 1946, n° 71963. RO, p. 3).
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L'article 57 du CGI est susceptible de trouver application notamment dans les relations entre sociétés mères et filiales (CE, arrêts du 23 mai 1960, n° 42218 ; du 23 février 1966, n° 64449. RO, p. 73 ; du 18 avril 1966. n° 63621). Toutefois, la notion de dépendance étant également une question de fait, on ne saurait être tenu par la définition restrictive de l'article 145 du CGI qui conditionne l'application du régime fiscal prévu en faveur de ces sociétés.
2. Dépendance de fait
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Si la dépendance juridique ne peut être démontrée, il faut s'en tenir à la constatation d'une dépendance de fait. Le lien de dépendance peut être contractuel ou découler des conditions dans lesquelles s'établissent les relations entre deux entreprises.
Une jurisprudence abondante illustre cette notion de dépendance de fait.
C'est ainsi qu'un lien de dépendance a été constaté dans le cas d'une société française liée par contrat à une société étrangère qui fixait les prix d'achat et de vente pratiqués par la première, laquelle devait rendre compte de ses opérations et verser des redevances importantes pour le seul usage de la marque dont l'entreprise étrangère était propriétaire (CE, arrêt du 23 mars 1953 n° 75326, RO, p. 226).
De même, dans un arrêt du 6 mai 1966 n° 62129, RO, p. 159, le Conseil d'État a jugé qu'une société française, obtenant certains de ses marchés par l'intermédiaire d'une société marocaine à laquelle elle verse sur la totalité de ses bénéfices, y compris ceux provenant de marchés dans la conclusion desquels la société marocaine n'est pas intervenue, des sommes hors de proportion avec les services rendus par cette dernière société, doit être regardée comme se trouvant sous la dépendance de la société étrangère au sens de l'article 57 du code.
L'existence d'un lien de dépendance a également été reconnue par le Conseil d'État, dans une espèce où une entreprise française et une entreprise étrangère dont les raisons sociales étaient les mêmes, avaient pour objet la fabrication d'objets de même nature, utilisaient le concours des mêmes représentants et se partageaient, le cas échéant, entre elles les commandes recueillies par lesdits représentants (CE, arrêt du 29 janvier 1964, n° 47515, RO, p. 20).
Dans un arrêt du 3 août 1942 n° 65810, RO, p. 117, le Conseil d'État a jugé qu'une entreprise française devait être considérée comme placée sous la dépendance d'une entreprise étrangère lorsque, n'ayant pu fonctionner au cours de ses premiers exercices, avec un capital modique, que grâce aux avances très importantes qui lui avaient été consenties par cette dernière, elle se bornait à exploiter en France les brevets et procédés appartenant à la société étrangère qui, par ses représentants, contrôlait régulièrement son activité et sa comptabilité.
Enfin, la Haute Assemblée s'est prononcée sur le cas d'une société qui fabriquait en France des électrophones automatiques sous une marque commerciale dont le propriétaire résidait en Suisse. Ce dernier n'était lié par aucun contrat à la société fabricante et il pouvait à tout moment lui interdire l'usage de la marque. Il était, en outre, le principal acheteur étranger des produits fabriqués et il intervenait dans la gestion et dans la commercialisation en France des appareils vendus à d'autres clients, conjointement avec son fils qui possédait 69 % des parts de la société fabricante et assumait les fonctions de directeur commercial. Il a été jugé qu'il résultait de ces circonstances que la société se trouvait sous la dépendance de l'exploitant suisse, propriétaire de la marque. Comme, d'autre part, la société consentait à celui-ci des prix inférieurs à ceux qu'elle pratiquait à l'égard des autres clients sans établir que les conditions de vente étaient justifiées par son intérêt commercial, le Conseil d'État a décidé que les sommes correspondant à ces diminutions de prix constituaient des bénéfices transférés à l'étranger (CE, arrêt du 2 juin 1976, n° 94758, RJ, n° II, p. 67).
3. Exception : transferts effectués avec des entreprises établies dans des pays à régime fiscal privilégié
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La preuve du lien de dépendance est souvent difficile, voire même impossible à apporter, lorsque des relations s'établissent entre des entreprises françaises et des entreprises étrangères domiciliées dans des pays à régime fiscal privilégié, compte tenu du secret généralement maintenu par les propriétaires réels de ces dernières.
Dans cette hypothèse le deuxième alinéa de l'article 57 du CGI, dispense l'Administration de prouver le lien de dépendance ou de contrôle pour les transferts de bénéfices effectués au profit d'entreprises établies dans un État étranger ou dans un territoire situé hors de France dont le régime fiscal est privilégié.
La condition relative au lien de dépendance est supprimée purement et simplement. L'entreprise n'est pas fondée à établir l'absence de lien de dépendance.
a. Entreprises concernées
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Les dispositions du deuxième alinéa de l'article 57 du CGI trouveront à s'appliquer dès lors que l'opération commerciale susceptible de donner lieu à un transfert de bénéfice aura été réalisée avec une entreprise domiciliée dans un pays à fiscalité privilégiée ou l'établissement installé dans un pays à fiscalité privilégiée, d'une entreprise dont le siège se trouve dans un pays à fiscalité normale.
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La forme de l'entreprise ou de l'établissement et la nature de son activité resteront sans incidence sur la mise en œuvre des nouvelles dispositions.
b. Notion de régime fiscal privilégié
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La notion de régime fiscal privilégié est définie au deuxième alinéa de l'article 238 A du CGI,
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Il appartient à l'administration d'apprécier, sous le contrôle du juge de l'impôt, si l'entreprise bénéficiaire se situe dans un pays à régime fiscal privilégié.
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En ce qui concerne les recherches à entreprendre pour parvenir aux constatations de fait sur lesquelles le service devra fonder son estimation, BOI-BIC-CHG-80-10.
B. Existence d'un transfert de bénéfices à l'étranger
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Pour opérer les redressements prévus par l'article 57 du CGI , l'administration doit démontrer non seulement que l'entreprise française est placée sous la dépendance d'une entreprise étrangère ou en possède le contrôle, mais encore que les opérations faisant l'objet de redressement sont constitutives d'un transfert indirect de bénéfices à l'étranger ne relevant pas de la gestion normale de l'entreprise.
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S'agissant d'entreprises apparentées, contrôlées par des groupes industriels et financiers ayant des ramifications au plan international, les procédés de transfert utilisés conduisent généralement à localiser la majeure partie des bénéfices du groupe dans les pays où l'impôt est le moins élevé.
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Aux termes de l'article 57 du CGI, ces transferts indirects de bénéfices peuvent être opérés, soit par voie de majoration ou de diminution des prix d'achat ou de vente, soit par tout autre moyen.
Parmi ces autres moyens, on peut citer notamment :
- le versement de redevances excessives ou sans contrepartie ;
- l'octroi de prêts sans intérêt ou à un taux réduit ;
- les remises de dettes (renonciation aux intérêts stipulés par les contrats de prêt) ;
- l'attribution d'un avantage hors de proportion avec le service obtenu.
1. Achats à prix majorés ou ventes à prix minorés
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Dans le cadre des relations d'affaires qui s'établissent entre sociétés affiliées, les sociétés de vente constituent des débouchés naturels pour l'écoulement de la production du groupe.
Dans ce cas, il peut arriver que les achats de la filiale auprès de l'entreprise étrangère soient faits à des prix majorés ou que les ventes à l'entreprise étrangère soient effectuées à des prix minorés.
Ces moyens peuvent être, en effet, utilisés pour transférer indirectement à l'étranger une partie des bénéfices réalisés par la société française (CE, arrêt du 29 janvier 1964 n° 47515, RO, p. 20 ; 13 avril 1964 n° 56173, RO, p. 69).
Pour apprécier l'existence d'un tel transfert, il faut de préférence se référer aux prix auxquels le vendeur vend généralement les mêmes produits à des sociétés indépendantes dans des conditions de marché similaires. En l'absence de telles informations, il y a lieu de recourir à une évaluation tirée de comparaisons avec les résultats des entreprises indépendantes exerçant la même activité ou les mêmes fonctions (voir II-C-1 § 390).
Dans un arrêt du 17 juin 1959 n° 38476, RO, p. 446, le Conseil d'État a jugé que constituait un transfert de bénéfices, au sens de l'article 57, l'avantage qu'une société française procurait à sa filiale étrangère en lui vendant ses produits à des prix sensiblement inférieurs, tant à ceux pratiqués sur le marché français qu'aux cours internationaux des mêmes produits (cf. également CE, arrêt du 29 janvier 1964, n° 47515, RO, p. 20).
En ce qui concerne une société française, filiale d'une société étrangère, qui, agissant en qualité de commissionnaire exclusif de cette dernière, lui a facturé, à l'occasion de l'exportation de marchandises, des commissions calculées sur une base insuffisante et selon un taux inférieur aux usages de la profession, il a été jugé qu'en raison des liens de dépendance mutuelle existant entre les deux entreprises, une telle pratique avait eu pour effet de transférer indirectement hors de France des bénéfices que l'Administration a pu, à bon droit, réintégrer dans les résultats imposables de la société française, par application de l'article 57 du CGI, alors même qu'ils auraient été taxés à l'étranger (CE, arrêt du 5 février 1975, n° 90788 et 91255, RJ, n° II p. 16 ; voir aussi CE, arrêt du 2 juin 1976 n°94758 ).
Le Conseil d'État (CE, arrêt du 8 juin 2005 n° 255918), a jugé que l'octroi par une société française de ristournes à des sociétés étrangères placées sous sa dépendance, sans que la société en question puisse justifier d'un avantage particulier qu'elle aurait trouvé à leur apporter cette aide, constitue un transfert de bénéfices au sens de l'article 57 du CGI, quand bien-même ces sociétés étrangères seraient en difficulté.
Remarque : En ce qui concerne la possibilité pour l'administration de demander des informations sur les modalités selon lesquelles a été défini le prix des transactions entre une entreprise et des entreprises situées à l'étranger, BOI-CF-IOR-60-50.
2. Versement de redevances excessives ou absence de perception des redevances
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Les sociétés françaises placées sous la dépendance de sociétés étrangères versent parfois à ces dernières d'importantes redevances. Ces redevances stipulées par contrat sont, en général, destinées à rémunérer certains services rendus par la société mère, qui vont de la concession d'une licence d'exploitation d'une marque, d'un brevet, d'un procédé ou d'une formule de fabrication à l'assistance directe dans les domaines technique, scientifique, commercial ou administratif.
D'une manière générale, la société devra démontrer que de telles dépenses sont légitimes et qu'elles correspondent bien à la rémunération normale des services effectivement fournis par la société étrangère.
On observera, à cet égard, que les sommes versées à ce titre peuvent atteindre des montants élevés sans pour autant apparaître a priori comme excessives. Il en est ainsi notamment lorsque les bénéfices réalisés par la filiale française apparaissent, malgré l'importance des déductions opérées, comme des bénéfices normaux par comparaison avec ceux réalisés par les entreprises concurrentes françaises indépendantes.
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Pour justifier le paiement de ces redevances, les sociétés intéressées peuvent faire valoir notamment :
- l'importance des frais de recherches et d'expérimentation qui sont supportés par l'ensemble du groupe ;
- le coût et la valeur de l'assistance, sous diverses formes, que la société mère fournit de façon constante et unilatérale à sa filiale.
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Bien entendu, les allégations des sociétés quant aux services rendus par la société mère ne peuvent être retenues que si elles sont appuyées de justifications précises.
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Par ailleurs, dans les cas très fréquents où la société mère est en même temps fournisseur de sa filiale, cette dernière ne doit pas contribuer doublement aux dépenses de recherches, d'une part, en versant une redevance calculée en fonction de ses ventes et, d'autre part, en payant les produits achetés à la société étrangère à un prix qui tient déjà compte des frais de recherches du groupe.
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Le montant des redevances doit, par ailleurs, être apprécié compte tenu des avantages directs ou indirects que la société française procure à la société étrangère, notamment dans le secteur commercial où souvent la filiale assure entièrement les charges d'exploitation et de fonctionnement du réseau des ventes ainsi que les dépenses de publicité et d'information.
D'une manière générale, la déduction des redevances versées aux sociétés mères étrangères ne saurait être autorisée que dans la mesure où le bénéfice net de la filiale est au moins égal à celui réalisé par une entreprise française exerçant une activité similaire et intégrant les services qui font l'objet des redevances considérées. Toutefois, cette circonstance ne suffirait pas à elle seule à justifier le versement de redevances par une société française. Il s'agit là de questions de fait qui ne peuvent être réglées qu'après un examen attentif des avantages directs ou indirects que s'accordent les entreprises liées.
Le Conseil d'État a jugé sur ce point, dans un arrêt du 3 août 1942 n° 65810, RO, p. 177, que les redevances versées par une société française à une société étrangère, sous la dépendance de laquelle elle se trouve placée, ne peuvent être admises en déduction des bénéfices imposables dans la mesure où elles sont anormalement élevées notamment en comparaison des bénéfices restant à la société.
De même, ont été regardées comme des bénéfices indirectement transférés, au sens de l'article 57 du CGI, les redevances de propriété industrielle versées à une société mère étrangère par sa filiale française dans la mesure où elles excédaient la rémunération des services rendus telle qu'elle avait été normalement prévue dans le contrat conclu entre les deux sociétés (CE, arrêt du 11 juin 1982, n° 16187).
Ont été considérées comme excessives les redevances versées par une société française à une société étrangère en contrepartie de la concession par cette dernière de ses droits de fabrication, du fait du montant des frais de publicité supportés par la société française excédant ses obligations contractuelles, de la fin de la protection d'un des brevets et de l'absence de justification par la société française de l'importance de l'assistance technique fournie par la société étrangère, nonobstant la circonstance tirée par la société française de l'augmentation sensible de sa marge bénéficiaire, et bien que l'administration n'ait produit aucun élément de comparaison. (CE, arrêt du 4 décembre 2002, n°237167.)
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A l'inverse, l'absence de perception de redevances par une société française auprès de ses filiales à l'étranger au titre de l'usage de ses incorporels, dès lors que ceux-ci ont une valeur significative et octroient un avantage aux filiales, peut, selon les circonstances, être regardée comme une renonciation à recettes anormale, constitutive d'un transfert indirect de bénéfices. Il s'agit là encore de questions de fait qui ne peuvent être réglées qu'après un examen attentif des avantages directs ou indirects que s'accordent les entreprises liées.
Le Conseil d'État a jugé que le fait qu'une société française ne perçoive pas de redevances de marque auprès de ses filiales étrangères alors qu'elle en perçoit auprès de ses filiales françaises ne suffit pas à lui seul à établir une présomption de transfert de bénéfices, dés lors que la valeur d'une marque dépend de son niveau de maturité sur un marché donné et peut varier dans le temps. (CE, arrêts du 7 novembre 2005 n°266436 et 266438).
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Le service de contrôle peut s'appuyer sur les autorisations données par le ministère chargé de l'lndustrie ou par tout autre service technique, au sujet du taux de la redevance ou du transfert de son montant à l'étranger. Cependant, ces autorisations ne peuvent lier l'administration fiscale.
3. Prêts consentis à la société étrangère à des conditions anormales et abandons de créance
a. Prêts consentis à des conditions anormales.
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Une société française peut accorder à une société étrangère, avec laquelle existe un lien de dépendance, un avantage non négligeable en lui consentant des prêts importants sans stipulation d'intérêts ou à un taux d'intérêt très bas, les sommes ainsi avancées pouvant être prélevées sur ses fonds propres ou sur des fonds d'emprunt.
Ces opérations sont présumées constituer des transferts de bénéfices à l'étranger (CE, arrêts du 7 juillet 1958, n° 35977, RO, p. 188 ; du 14 juin 1963, n° 57457, RO, p. 362 ; du 21 décembre 1964, n° 54142 et 56200 ; du 23 février 1966, n° 64449, RO, p. 73 ; et CE, arrêt du 26 novembre 1982, n° 24360).
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D'une manière générale, il y aura lieu de réintégrer dans le bénéfice imposable de la société française un intérêt correspondant à un taux normal qui doit être apprécié dans chaque cas particulier, au vu des circonstances de fait.
Ce taux peut être le taux moyen d'intérêt des avances sur titres pratiqué par la Banque de France (CE, arrêt du 21 octobre 1970, n° 71071, RJ, n°II p.187) ou, le cas échéant, le taux d'intérêt payé par l'entreprise française à raison des sommes qu'elle a elle-même personnellement empruntées (CE, arrêt du 7 novembre 1963, n° 57183, RO, p. 428).
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Toutefois, le Conseil d'État a jugé, par un arrêt du 13 janvier 1967 n° 68139, que la dispense d'intérêt n'avait pas le caractère d'un transfert de bénéfices au sens de l'article 57 dans le cas d'une filiale étrangère qui avait déjà bénéficié d'avances pour lesquelles la caution de la société mère avait été exigée et se trouvait placée dans une situation financière difficile. Le Conseil d'État a estimé, en effet, que la société mère française avait cherché par ce moyen à éviter de subir elle-même, du fait de la caution qu'elle avait accordée, des pertes beaucoup plus importantes que le montant des intérêts auxquels elle avait renoncé. Au surplus, le dépôt du bilan de la filiale étrangère aurait pu porter atteinte au crédit de la société mère.
De même, ne constitue pas un transfert indirect de bénéfices, au sens de l'article 57 du CGI et des conventions fiscales internationales applicables, l'abandon à des sociétés sœurs étrangères des bénéfices qu'une société française réalise à l'étranger sur la vente de ses produits, dès lors que cet abandon représente la contrepartie de la prise en charge par les premières des dépenses de prospection et de lancement desdits produits. L'opération doit être regardée comme correspondant, en l'espèce, au paiement d'un service commercial utile aux intérêts de la société française et partant, à un acte de gestion normale (CE, arrêt du 14 mars 1984, n° 34430 et 36880).
b. Abandon de créance
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La perte résultant d'un abandon de créance n'est susceptible d'être déduite pour la détermination de l'assiette de l'impôt que si cet abandon constitue un acte de gestion commerciale normale. Le point de savoir si une telle condition est remplie est une question de fait appréciée dans chaque cas par l'administration sous le contrôle du juge de l'impôt. En tout état de cause, doivent être démontrés tant le besoin de financement de la société bénéficiaire de l'abandon que l'intérêt pour la société consentant l'abandon.
La circonstance que l'entreprise bénéficiaire de l'abandon de créance soit une filiale en difficulté ne suffit pas à établir que la société mère a agi dans l'intérêt de sa propre exploitation (Au cas particulier la filiale a son siège à l'étranger) (RM Longuet n° 20908, JO AN du 26 mai 1980 p. 2126).
Le Conseil d'Etat (CE, arrêt du 11 avril 2008 n°281033), a jugé qu'un abandon de créances consenti par une société française à des succursales étrangères, elles-même détenues par une filiale de la dite société constituait un transfert de bénéfices. Au cas particulier, il était établi que ces succursales étaient en difficulté et que la société française avait un intérêt commercial à les aider, mais également que la filiale détentrice de ces succursales n'était, pour sa part, pas en difficulté, et donc en mesure de subvenir aux besoins de ses succursales.
4. Participation forfaitaire aux frais d'exploitation d'une filiale à l'étranger
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Certaines entreprises créent parfois à l'étranger des filiales communes en vue d'entreprendre, soit des études, soit des fabrications, soit des achats ou ventes intéressant l'ensemble des membres fondateurs.
En matière de répartition des charges de ces filiales entre les associés, il n'existe pas de règles impératives.
Le Conseil d'État a, par exemple, autorisé la réintégration des sommes versées à titre de participation forfaitaire aux frais d'exploitation d'une filiale étrangère, pour la partie excédant les commissions normalement dues à cette dernière du chef des opérations traitées (CE, arrêt du 18 avril 1966, n° 63621).
S'agissant de dépenses engagées dans l'intérêt commun d'entreprises françaises et étrangères, le Conseil d'État a admis le principe d'une évaluation forfaitaire (CE, arrêt du 8 mai 1964, n° 66968 et 68362).
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Toutefois, les dispositions prévoyant la possibilité d'une répartition forfaitaire des frais commun d'un groupe d'entreprises dont certaines sont installées à l'étranger ne sont pas applicables lorsque le paiement de la participation est effectué à une société établie dans un pays à fiscalité privilégiée visé par l'article 238 A du CGI (BOI-BIC-CHG-80-10 au I-C § 130).
La méthode la moins contestable et sanctionnée également par la jurisprudence du Conseil d'État est, à cet égard, celle qui consiste à répartir les frais communs d'après la proportion existant entre le chiffre d'affaires de l'entreprise française et le chiffre d'affaires global de l'ensemble des exploitations du groupe (CE, arrêt du 25 avril 1960, n° 45089, RO, p. 60).
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On peut également se fonder sur la proportion existant entre le produit brut de l'entreprise française et le bénéfice brut de l'ensemble des associés.
On peut enfin appliquer le rapport existant entre les valeurs d'actif de la société française et celles de l'ensemble du groupe.
Mais ces deux derniers procédés de répartition présentent souvent des inconvénients qui découlent des différences de législations applicables dans les États des sociétés concernées.
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Quel que soit le système adopté, il faut toujours veiller à ce que la clé de répartition porte sur des éléments comparables.
II. Procédure applicable dans le cadre de la mise en œuvre de l'article 57 du code général des impôts
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Il résulte de la jurisprudence du Conseil d'État que l'article 57 du CGI ne peut être appliqué que s'il est établi que des avantages particuliers ont été consentis à la société étrangère. C'est à l'Administration qu'il appartient de prouver l'existence de ces avantages et d'en déterminer le montant.
La preuve de l'existence de tels avantages fait présumer le transfert de bénéfices.
Il est rappelé que l'administration doit avoir apporté au préalable, la preuve des liens de dépendance qui unissent la société étrangère et la société française (cf. I § 10).
L'entreprise française a, bien entendu, la faculté d'apporter la preuve contraire en établissant que l'opération apparemment anormale est en réalité justifiée par les nécessités de l'exploitation.
A. Preuve de l'existence d'avantages particuliers consentis à l'entreprise étrangère
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La loi ne fixe, à cet égard, aucune règle de preuve particulière. Aussi appartient-il à l'administration de prouver, selon la procédure de droit commun, le caractère anormal de l'opération qu'elle entend redresser.
Ainsi, s'agissant de l'acquisition par une filiale française de matériel informatique destiné à la vente, au moyen d'avances consenties par la société mère suisse et rémunérées à un taux inférieur à celui du marché, le Conseil d'État (CE, arrêt du 4 novembre 1983 n° 34516) a jugé que l'administration n'apportait pas la preuve qui lui incombait, dès lors qu'elle n'établissait pas :
- que l'obtention des avances aient été recherchées par la filiale française dans un intérêt autre que celui de l'entreprise ;
- que les intérêts versés en rémunération de ces avances présentaient un caractère excessif, dès lors que les taux fixés étaient inférieurs à ceux qu'auraient exigés les banques ou les établissements financiers pour l'attribution de crédits de même durée.
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Lorsque le contribuable n'accepte pas les redressements envisagés par l'administration, le désaccord peut être soumis à l'appréciation de la Commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires ou de la Commission nationale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, selon leur seuil de compétence. Ces organismes sont compétents pour connaître de toutes les questions de fait qui se rattachent à l'existence et au montant du transfert de bénéfices à l'étranger (CE, arrêt du 29 janvier 1964, n° 47515, RO, p. 20 ; et CE, arrêt du 9 octobre 1967, n° 70392).
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Si le Tribunal administratif ne s'estime pas suffisamment informé, il peut ordonner une expertise à l'effet d'établir que la société française n'a pas consenti d'avantages à sa filiale étrangère.
B. Présomption de transfert et preuve contraire
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Lorsque l'existence d'avantages accordés par l'entreprise française à l'entreprise étrangère est établie, l'article 57 du CGI établit une véritable présomption de transfert de bénéfices.
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Mais l'entreprise peut combattre cette présomption en démontrant que ces avantages ne se sont pas traduits en fait par un transfert de bénéfices à l'étranger.
L'administration reconnaît à l'entreprise française la possibilité d'apporter la preuve que les avantages découlant des opérations réalisées avec une entreprise étrangère répondent à des nécessités commerciales réelles, et non au souci d'effectuer des transferts de bénéfices au préjudice de l’État français.
Il a été jugé que l'entreprise française peut apporter la preuve que les avantages contestés étaient indispensables à la conclusion de l'affaire, compte tenu de l'état du marché et des conditions de la concurrence et qu'à défaut un bénéfice plus élevé n'aurait pu être réalisé (CE, arrêt du 13 avril 1964, n° 56173, RO, p. 69).
La société française peut invoquer les intérêts financiers et commerciaux qui s'attachent, pour elle, à la prospérité de ses filiales à l'étranger (CE, arrêt du 13 janvier 1967, n° 68139) ;
De même, la prise en charge par une société française de la rémunération d'un cadre détaché auprès d'une filiale pour en assurer la direction, ne constitue pas un transfert de bénéfice dès lors que la société mère établit que l'avantage ainsi accordé à sa filiale comporte une contrepartie suffisante dans l'intérêt de son exploitation et est justifié par une gestion commerciale normale de ses intérêts propres. Il en a été ainsi jugé dans un arrêt du Conseil d'État du 30 mars 1987 n° 52754.
Ceci est valable que la filiale soit française ou étrangère (RM Oudot n° 25533, JO AN du 7 septembre 1987 p. 5012)
cf. également, CE, arrêt du 3 mars 1989, n° 77581.
La preuve contraire a été considérée comme apportée dans le cas où l'avantage consenti sur un point par la société française était compensé par un avantage consenti sur un autre point par la société étrangère à la société française, alors même que les deux opérations appelées à se compenser n'avaient entre elles aucun lien de causalité. D'une façon générale, il y a lieu d'examiner l'ensemble des opérations commerciales traitées par les deux sociétés (CE, arrêt du 30 octobre 1963, n° 50220).
La jurisprudence a admis également la légitimité :
- de l'aide financière consentie à une filiale en difficulté, le développement de l'entreprise française à l'étranger pouvant souffrir d'une aggravation de la situation financière de sa filiale étrangère (CE, arrêt du 11 décembre 1970, n° 78698) ;
- de redevances versées à une société mère étrangère et rémunérant, selon un taux non excessif, l'usage des marques qui ne figurait pas, lors de la constitution de la filiale française, parmi les apports de la société étrangère (CE, arrêt du 19 juin 1970, n° 76270, RJ, n° II, p. 155).
Ainsi, l'application de l'article 57 du CGI se rattache dans une certaine mesure à la notion plus large de l'acte de gestion anormale. Cependant, si la preuve contraire est ouverte à l'entreprise dans les deux cas, elle est plus difficile à établir dans le cadre de l'article 57 du CGI, dès lors que le contribuable doit combattre une véritable présomption instituée par la loi.
C'est ainsi que le Conseil d'Etat a écarté la preuve contraire pour des prêts sans intérêt consentis à une filiale étrangère tandis qu'elle était admise pour des prêts consentis à d'autres filiales, lesquelles étaient situées en France comme la société mère (CE, arrêt du 7 juillet 1958, n° 35977, RO, p. 188).
C. Rectification des résultats
380
Le montant des produits imposables est déterminé, selon l'article 57 du CGI :
- soit directement, par incorporation des bénéfices abusivement transférés hors de France aux résultats accusés par les comptabilités ;
- soit, à défaut d'éléments précis pour opérer les redressements, par comparaison avec les produits imposables des entreprises similaires exploitées normalement.
1. Méthode d'évaluation directe
390
Les redressements prévus à l'article 57 du CGI doivent être opérés, en principe, selon les règles de droit commun, c'est-à-dire d'après les éléments précis de l'opération redressée. En effet, l’évaluation par comparaison n'est admise qu'à titre subsidiaire et à défaut d'éléments précis (CGI, art. 57, 4 al.4 ; CE, arrêt du 23 novembre 1960, n° 48570).
Cette procédure sera généralement appliquée dans les hypothèses de remise ou d'absence d'intérêts, de rémunération sans contrepartie, de redevances excessives, de minoration des prix.
2. Méthode d'évaluation subsidiaire
400
L'article 57 du CGI prévoit qu'à défaut d'éléments précis permettant de déterminer le bénéfice imposable de l'entreprise française, il y a lieu de recourir à une évaluation tirée de comparaisons avec les résultats des entreprises indépendantes exerçant la même activité .
Il a été jugé, par exemple, que les bénéfices imposables ont pu valablement être déterminés par application au chiffre d'affaires d'un cœfficient de bénéfices fixé par comparaison avec ceux des entreprises similaires exploitées normalement (CE, arrêt du 23 mars 1953, n° 75326, RO, p. 266).
D. Régime fiscal applicable aux produits distribués
410
Les sommes réintégrées par l'administration dans les bases de l'impôt sur les sociétés, en vertu de l'article 57 du CGI, doivent être considérées, en tout état de cause, comme des revenus distribués en se référant :
- soit aux dispositions du 1° du 1 de l'article 109 du CGI si l'exercice de rattachement est bénéficiaire ;
- soit à celles du 2° du 1 de l'article 109 et, au a de l'article 111 du CGI si les résultats de cet exercice sont déficitaires et si la société étrangère bénéficiaire des produits indirectement transférés est associée, actionnaire ou porteur de parts de la société française ;
- soit enfin à celles du c de l'article 111 du CGI qui visent des avantages occultes, si l'une ou l'autre des deux précédentes dispositions n'est pas susceptible d'être appliquée.
Dans la mesure où la société bénéficiaire des produits transférés ou des avantages consentis a son siège hors de France, la distribution indirecte est soumise à la retenue à la source au taux prévu au 2 de l'article 119 bis du CGI sous réserve des conventions fiscales internationales (BOI-INT-DG-20-20-20-20).