IS – Déficits et moins-values nettes à long terme – Report en avant – Conditions d'admission tenant au maintien de l'unité de l'entreprise
1
Sous réserve des cas spéciaux prévus au II de l'article 209 du code général des impôts (CGI) fusions de sociétés et opérations assimilées (cf. II-B-1-a), le report déficitaire doit être effectué uniquement sur les bénéfices de l'entreprise qui a subi le déficit. Il résulte de la jurisprudence du Conseil d'État que l'unité d'entreprise à laquelle est nécessairement subordonné le report déficitaire suppose l'identité de nature de l'industrie ou du commerce exercé ainsi que l'identité de l'exploitant (cf., notamment, CE, arrêts des : CE, 3 février 1971, req. n° 74352, RJ, n° II, p. 20 ; CE, 26 novembre 1971, req. n° 79981, RJ, n° II, p. 196 ; CE, 29 novembre 1972, req. n° 81954, RJ, n° II, p. 151 ; CE, 28 mars 1973, req. n° 77456, RJ, n° II, p. 46 ; CE, 4 juin 1975, req. n° 92483, RJ, n° II, p. 70).
I. Identité d'activité
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Lorsqu'une société change d'activité ou d'objet social, elle ne peut, en principe, reporter sur les bénéfices réalisés dans sa nouvelle exploitation les déficits subis dans son ancienne entreprise.
Le changement total d'activité réelle d'une société ou la modification de son objet social emporte, en principe, cessation d'entreprise (sur cette notion, il convient de se reporter au BOI-IS-CESS).
Cependant, une cession partielle d'activité ne prive pas l'entreprise du droit de reporter ses déficits constatés antérieurement à la cession, dans les conditions prévues à l'article 209-I du CGI,
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Les déficits éventuellement subis jusqu'à la date du changement ne peuvent pas être reportés sur les bénéfices réalisés ultérieurement dans le cadre de l'activité nouvelle.
Sur ce point, le Conseil d'État a d'ailleurs jugé qu'une société qui, après avoir déclaré mettre fin à son activité a, ultérieurement, changé de dénomination et modifié son objet en vue d'y comprendre une activité de nature différente, ne saurait prétendre reporter sur les bénéfices provenant de son exploitation nouvelle les déficits afférents à son ancienne activité, quand bien même le changement d'objet social n'aurait été accompagné d'aucune modification affectant la forme juridique de la société, le montant et la répartition du capital entre les associés (CE, arrêt du 26 novembre 1971, req. n° 79981, RJ, n° II, p. 196).
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Le Conseil d'État a également estimé que la condition d'identité d'entreprise n'est pas remplie lorsqu'une société a subi des transformations telles, dans sa composition et son activité, que tout en ayant conservé sa personnalité juridique, elle n'est plus, en réalité, la même. Jugé ainsi dans le cas d'une société qui, après avoir vendu l'une de ses deux usines et donné l'autre en location, abandonnant tout mode d'exploitation directe et renonçant dès lors à l'essentiel de son activité, a absorbé une autre société dans des conditions telles que son capital propre ne représentait plus que 5/10 000 du capital de la société résultant de la fusion. En conséquence, cette dernière société dont la personne et l'objet n'étaient plus les mêmes n'a pu être admise à déduire de ses résultats les déficits subis antérieurement par la société initiale (CE, arrêt du 29 novembre 1972, req. n° 81-954, RJ, n° II, p. 151).
40
La Haute assemblée a de même jugé qu'une société à responsabilité limitée qui, après avoir cessé toute activité industrielle, s'est bornée à donner ses installations en location, puis s'est transformée en société anonyme sous une autre dénomination sociale et avec un conseil d'administration où ne siégeait aucun des anciens porteurs de parts, son capital ayant d'autre part entièrement changé de mains, ne peut bénéficier des dispositions de l'article 209-I du CGI à défaut d'identité d'entreprise entre la société à responsabilité et la société anonyme. Par suite, cette dernière n'est pas autorisée à déduire de ses propres résultats le déficit provenant de l'exploitation de la société à responsabilité limitée (CE, arrêt du 28 mars 1973, req. n° 77456, RJ, n° II, p. 46).
50
Le Conseil d'État a, en outre, jugé qu'une société qui, après avoir cessé son activité de fabrication, s'est livrée exclusivement à la vente des produits d'un groupe de fabricants, lequel a pris d'abord une participation de 23 % du capital de la société, puis a acquis la quasi-totalité des parts de celle-ci et lui a donné une nouvelle dénomination, ne peut plus être regardée comme exploitant en réalité la même entreprise, alors même qu'elle aurait conservé, en principe, sa personnalité juridique. Elle n'est pas dès lors admise à déduire de ses bénéfices les déficits réalisés par la société initiale antérieurement aux transformations intervenues (CE, arrêt du 4 juin 1975, req. n° 92483, RJ, n° II, p. 70).
60
De même, ne peut être regardée comme ayant conservé son identité et par suite n'est pas en droit d'imputer sur les bénéfices procurés par l'activité nouvelle les déficits réalisés au cours de la période précédente, une société qui a cessé complètement son activité de fabrication de parquets, cédé son capital à concurrence de 70 % à de nouveaux actionnaires, modifié son objet social pour l'étendre à la fabrication, au négoce et à la pose de tous matériaux et qui, sans se livrer à aucune activité industrielle de la nature de celle qu'autorise son nouvel objet social, s'est bornée à des opérations de négoce de carrelage d'importation et à la location de locaux devenus disponibles (CE, arrêt du 17 mai 1982, n° 21759) [rapp. également CE, arrêt du 7 janvier 1985, n°s 34936 et 34937].
70
En revanche, une société industrielle qui, ayant subi des pertes d'exploitation, décide de poursuivre son exploitation dans le cadre d'une mise en gérance libre portant à la fois sur les éléments incorporels de son fonds de commerce et sur l'ensemble de ses moyens de production, est admise, en principe, à bénéficier du report déficitaire, sous réserve, toutefois, que le contrat de gérance libre ne soit pas conclu, alors que les parties étaient d'accord pour la vente du fonds, à seule fin de permettre au bailleur de reporter fiscalement ses pertes antérieures avant la réalisation effective de la cession du fonds mis en gérance.
80
Dans cette hypothèse, l'administration pourrait en effet s'opposer à ce report en invoquant les dispositions de l'article L64 du livre des procédures fiscales (LPF) aux termes duquel « ne peuvent être opposés à l'administration des impôts les actes qui dissimulent la portée véritable d'un contrat ou d'une convention à l'aide de clauses qui déguisent soit une réalisation soit un transfert de bénéfices ou de revenus » (sur la procédure de répression des abus du droit, cf. BOI-CF-IOR-30 et BOI-CF-CMSS-50-III ).
90
Il a de même été jugé qu'une entreprise qui :
- a suspendu durant une période de trente mois la majeure partie de son activité industrielle et, tout en poursuivant ses activités commerciales, a réalisé, durant cette période, une opération immobilière de construction-vente ;
- a connu deux changements successifs de majorité dans la composition de son collège d'associés, ne laissant plus, lors du premier changement, qu'un quart du capital social aux associés initiaux ;
ne doit pas, pour autant, être regardée comme ayant subi des transformations dans son activité et dans sa composition de nature à la priver du droit au report déficitaire (CE, arrêt du 7 mai 1980, req. 16700).
Cette décision a été motivée de la façon suivante :
« Considérant qu'en raison de difficultés d'exploitation et du décès survenu le 24 décembre 1969, de son président-directeur général, la société anonyme, dont les activités étaient, conformément à l'objet social, « la fabrication de matériaux de construction, la vente de ces produits fabriqués par elle ou achetés à des tiers et la représentation de produits céramiques », a décidé d'interrompre temporairement, à compter du 31 décembre 1969, les opérations de fabrication de ses produits et de leur vente afin de réorganiser l'entreprise ; qu'elle a réalisé en 1970, avec les disponibilités dégagées par la vente de certains éléments d'actif, une opération immobilière.
« Considérant que la mise en œuvre du droit au report déficitaire est subordonnée à la condition que la personne de l'exploitant et l'objet de l'entreprise soient restés les mêmes, et que ces conditions font défaut lorsqu'une société a subi des transformations telles, dans sa composition et son activité, que, tout en ayant conservé sa personnalité juridique, elle n'est plus, en réalité, la même » ;
« Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction que la société, à la suite de la décision susmentionnée du 31 décembre 1969, a suspendu la plus grande partie de ses activités de fabrication et les a confiées à une société du même groupe puis, au cours de l'année 1970, a loué à la société, pour une période limitée expirant le 31 mai 1972, celles de ses installations industrielles qui étaient encore en état ; que, pendant cette période, elle a assuré l'exécution de ses engagements antérieurs envers ses clients et a poursuivi son activité de négoce de matériaux et de représentation de plusieurs entreprises de briqueterie ; que, si elle a réalisé de 1970 à 1972 une opération de construction et de vente de logements, et complété à cet effet ses statuts, il s'agit d'une opération unique destinée, comme il a été dit ci-dessus, à utiliser certaines disponibilités dégagées en 1970 ; qu'enfin elle a repris le 1er juin 1972, à l'expiration du bail consenti à la société, ses activités antérieures de fabrication de matériaux et de leur vente ; que, contrairement à ce que soutient à titre principal le ministre, il ne ressort pas de cet ensemble de circonstances que la société a subi dans ses activités, après le 1er janvier 1970, des transformations telles qu'elle doive être regardée comme n'étant plus, en réalité, la même » ;
« Considérant, en deuxième lieu, que le capital de la société anonyme, détenu à l'origine dans sa quasi-totalité par la famille A, a été cédé en juin 1970, dans une proportion de 73 % à la famille B et qu'en mars 1973, 64 % du capital a été acquis par le groupe C ; que ces changements de majorité ne suffisent pas, dès lors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que la famille A ait abandonné toute participation significative au capital social, à établir que la société ait subi dans sa composition, après le 1er janvier 1970, des transformations telles qu'elle doive être regardée, à cet égard également, comme n'étant plus la même. »
100
La condition d'identité d'entreprise est également remplie dans le cas d'une société qui, après avoir entrepris la fabrication de machines à laver, y a renoncé un an plus tard, cédant une partie de l'actif correspondant à une société du même groupe et réduisant son activité à la gestion du personnel et à la location de ses usines. En effet, la société n'a pas cessé ainsi de prendre part à la fabrication d'une même catégorie de matériels selon des modalités différentes dont elle explique les variations par des préoccupations touchant à sa politique de propriété industrielle et aux problèmes de gestion des personnels. Dès lors, elle ne peut être regardée comme ayant subi dans son activité des transformations telles qu'elle ne serait plus en réalité la même. Elle ne peut être davantage regardée comme ayant subi des transformations substantielles dans sa composition, même si, lors de sa transformation en société anonyme, des changements de majorité sont intervenus car la société requérante n'a pas abandonné toute participation significative au capital social (CE, arrêt du 22 décembre 1982, n° 24813).
II. Identité d'exploitant
110
Le déficit subi par un contribuable ne peut, en principe, être reporté sur les bénéfices réalisés par un autre contribuable. C'est ainsi qu'en cas de cession d'entreprise, le cessionnaire n'est pas autorisé à retrancher de ses bénéfices le déficit du précédent exploitant. Il convient toutefois de mentionner les dispositions dérogatoires de l'article 209-II du CGI concernant les fusions de sociétés et opérations assimilées (sur ce point se reporter à BOI-IS-FUS-20-20).
A. Transformations de sociétés
120
On entend par « transformation » d'une société l'opération par laquelle celle-ci adopte une forme juridique différente de celle sous laquelle elle avait été constituée (cf. BOI-IS-CESS-20).
Les conséquences, au regard du report déficitaire, d'une transformation de société sont différentes selon que la société transformée reste ou non passible de l'impôt sur les sociétés.
1. La société reste passible de l'impôt sur les sociétés après transformation
130
Lorsqu'une personne morale passible de l'impôt sur les sociétés se transforme en une société elle-même soumise à cet impôt, les déficits subis au cours des exercices antérieurs à sa transformation peuvent être reportés sur les exercices postérieurs à celle-ci à la condition toutefois que la transformation n'ait pas entraîné cessation d'entreprise.
140
En dehors du cas général de cession proprement dite de l'exploitation, il y a cessation d'entreprise, notamment lorsque la transformation aboutit à la création d'une personne morale nouvelle (sur la notion de création d'une personne morale nouvelle, cf. BOI-IS-CESS-20).
150
Mais la cessation d'entreprise peut également résulter indépendamment du point de savoir s'il y a eu création d'une personne morale nouvelle de modifications substantielles intervenues dans la nature ou les conditions d'exercice de l'activité, que ces modifications soient d'ailleurs accompagnées ou non de changements affectant la forme juridique de la société ou le montant et la répartition du capital entre les associés (cf. I § 20 et suivants, et, notamment, les arrêts du Conseil d'État précités (CE, 26 novembre 1971, req. n° 79981, et CE, 28 mars 1973, req. n° 77456)).
2. Transformation d'une société de capitaux passible de l'impôt sur les sociétés en une société de personnes
160
Lorsqu'une société de capitaux passible de l'impôt sur les sociétés se transforme en une société de personnes, les déficits antérieurs à la transformation ne sont pas admis en déduction des bénéfices de la société transformée.
En effet, aux termes de l'article 221-2, 2e alinéa, du CGI, la transformation d'une société par actions, en commandite par actions ou à responsabilité limitée en société de personnes est considérée comme une cessation d'entreprise, sous réserve des dispositions de l'article 221 bis du CGI qui en atténuent les conséquences, sous certaines conditions, en ce qui concerne les bénéfices en sursis d'imposition et les plus-values latentes de l'actif (cf. BOI-IS-CESS-20-20). Mais, dès lors qu'ils ne sont pas visés par les mesures dérogatoires au droit commun de l'article 221 bis du CGI, les déficits antérieurs de la société transformée ne peuvent être reportés sur les bénéfices réalisés dans le cadre de la société issue de la transformation.
Ainsi, les déficits ordinaires des sociétés visées à l'article 221-2, 2ème alinéa, du CGI qui subsistent à la clôture de l'exercice précédant celui de la cessation et qui ne pourraient être imputés sur les résultats de ce dernier exercice ou de l'arrêté des comptes intervenu à la date de cette cessation selon les modalités prévues aux troisième et quatrième alinéas de l'article 209-I du CGI, tombent donc en non valeur.
170
Remarque : Dans le cas inverse de transformation en société de capitaux d'une société de personnes n'ayant pas opté pour le régime de l'impôt sur les sociétés, aucun report déficitaire ne peut être envisagé puisque le déficit des sociétés de personnes relevant de l'impôt sur le revenu doit être imputé sur le revenu global de chacun des associés conformément aux dispositions de l'article 156-I du CGI.
En effet, les déficits enregistrés par les sociétés mentionnées à l'article 202 ter du CGI qui sont affectés par un évènement qui est également mentionné à cet article ont dû être pris en compte par chaque membre de la société en proportion de ses droits au fur et à mesure des exercices au cours desquels ils ont été subis conformément aux dispositions des articles 8 à 8 ter du CGI. Ces déficits ne peuvent en tout état de cause être reportés sur les bénéfices ultérieurement soumis à l'impôt sur les sociétés.
Cas particuliers :
a. Transformation d'une société de capitaux en groupement d'intérêt économique
180
En assimilant la transformation d'une société de capitaux en groupement d'intérêt économique à une cessation d'entreprise pour l'établissement de l'impôt sur les sociétés, l'article 221-2 ter du CGI fait obstacle au report des déficits de la société transformée.
Dans la situation inverse, lorsqu'un groupement d'intérêt économique se transforme en société anonyme, les déficits enregistrés pendant la période d'activité du groupement ne peuvent être reportés sur la société anonyme dès lors qu'ils ont dû être pris en compte par chaque membre du groupement en proportion de ses droits, au fur et à mesure des exercices au cours desquels ils ont été subis, conformément aux dispositions des articles 8 du CGI et 218 bis du CGI.
b. Incidences de l'accession des sociétés passibles de l'impôt sur les sociétés au régime de la transparence fiscale
190
Conformément aux dispositions de l'article 221-2 bis du CGI, la modification des statuts tendant à assigner à une société quelconque un objet conforme aux prévisions de l'article 1655 ter du CGI est assimilée, du point de vue fiscal, à une cessation d'entreprise, que cette modification s'accompagne ou non d'un changement de forme juridique.
Les déficits subis par une société passible de l'impôt sur les sociétés et non encore déduits lors de son accession à la transparence tombent donc en non-valeur et ne peuvent être admis en déduction des revenus ultérieurs des associés.
B. Fusions de sociétés, scissions et apports partiels d'actif
200
En ce qui concerne les définitions et le régime fiscal des fusions de sociétés, scissions et apports partiels d'actif, il convient de se reporter au BOI-IS-FUS. Règle générale
a. Déficits antérieurs non encore déduits par la société absorbée
210
Une fusion de sociétés entraîne en principe les conséquences fiscales d’une cessation totale d’entreprise et notamment la perte du droit au report des déficits subis par la société absorbée.
220
Les déficits subis par la société absorbée ou scindée ne peuvent, en principe, être déduits des bénéfices des sociétés absorbantes ou nouvelles dès lors que ces dernières ont une personnalité différente de celle de la société disparue.
Le Conseil d'État a jugé à cet égard que la situation fiscale d'une société qui fait apport de son actif et de son passif à une autre société doit, conformément aux dispositions des articles 201 du CGI et 221 du CGI, être liquidée à la date de la cessation de son exploitation et que le déficit qui serait constaté à cette date ne saurait être reporté sur les bénéfices de la société absorbante (CE, arrêt du 20 novembre 1964, req. n° 55007, RO, p. 190).
Il en est ainsi, que la fusion soit placée sous le régime de droit commun ou réalisée dans le cadre des dispositions des articles 210 A à 210 C du CGI qui exonèrent, sous certaines conditions, de l'impôt sur les sociétés, les plus-values constatées à l'occasion des fusions des sociétés.
230
La même interdiction de report des déficits existe, en cas d'apport partiel d'actif, à l'égard des déficits de la société apporteuse, à concurrence de la fraction de ces déficits se rapportant à l'activité transférée.
Par ailleurs, dans le cas où la société apporteuse conserverait une branche d'activité commerciale, les déficits subis avant l'apport partiel d'actif demeureraient reportables sur les résultats de l'activité conservée, dans la mesure, bien entendu, où il n'y aurait pas transfert de ceux-ci sur l'agrément à la société bénéficiaire des apports (RM Bialski, JO, déb. Sénat, 3 juin 1982, p. 2487)
b. Déficits de la société absorbante
240
La société absorbante ou bénéficiaire des apports peut, en principe, déduire des résultats postérieurs à la fusion ou à l'apport par application de l'article 209-I, 3e alinéa, du CGI, les déficits qu'elle a elle-même subis antérieurement à cette opération, lorsqu'elle n'a pas changé d'objet, ni d'activité (CE, arrêt du 21 mars 1986, n° 53002).
250
Il en est autrement si cette société a subi des transformations telles dans sa composition et son activité que, tout en ayant conservé sa personnalité juridique, elle ne puisse plus être regardée comme étant demeurée la même. Ainsi jugé dans le cas d'une société qui, après avoir abandonné tout mode d'exploitation directe et renoncé ainsi à l'essentiel de son activité, a absorbé une autre société dans des conditions telles que son capital propre ne représentait plus que 5/10 000 du capital de la société résultant de la fusion (CE, arrêt du 29 novembre 1972, req. n° 81954, RJ, n° II, p. 151).
260
Par ailleurs, l'administration serait fondée à contester le report des déficits en invoquant les dispositions de l'article L 64 du LPF relatives aux abus de droit, si la société absorbante étant déficitaire et la société absorbée bénéficiaire, l'opération de fusion ou assimilée apparaissant comme inspirée par la recherche d'une compensation entre les bénéfices et les pertes respectifs des deux entreprises en vue de faire échapper à l'impôt les bénéfices de la société absorbée ou apporteuse.
Ainsi jugé dans le cas d'une société anonyme A qui, après avoir cessé son activité, a réduit son capital par imputation d'une partie de ses pertes comptables puis bénéficié, de la part de deux sociétés B et C, dépendant d'un groupe industriel D, de l'apport de deux branches de leurs activités, et, enfin, pris la dénomination de « compagnie E ». À l'issue de ces opérations, 99,50 % du nouveau capital social provenait du groupe D et de l'activité reprise qui, bien que voisine par nature de l'ancienne activité, consistait essentiellement dans la poursuite de l'exploitation des deux secteurs d'activité apportés par les sociétés B et C. Le Conseil d'État a décidé, dans ces conditions, que l'administration avait pu à bon droit, conformément à l'avis émis par le comité consultatif pour la répression des abus de droit (comité de l'abus de droit fiscal) estimer que les apports partiels d'actif susvisés avaient en réalité pour but de dissimuler la création d'une société nouvelle, considérer la compagnie E comme une entreprise distincte de la société A et, par suite, lui refuser le droit de déduire de ses bénéfices les déficits subis antérieurement par cette dernière société (CE, arrêt du 3 février 1971, req. n° 74352, RJ, n° II, p. 20).
1. Dérogation en cas de fusions et opérations assimilées
270
Le II de l’article 209 du CGI prévoit qu’en cas de fusion, scission ou apport partiel d’actif placés sous le régime de l’article 210 A,du CGI les reports déficitaires de la société absorbée ou apporteuse peuvent être transférés à la société absorbante ou bénéficiaire des apports sur agrément préalable, délivré dans les conditions prévues à l’article 1649 nonies du CGI.
La possibilité de transfert des déficits est ouverte aux fusions et aux opérations assimilées du point de vue fiscal à des fusions dès lors qu'elles bénéficient du régime de l'article 210 A du CGI (Cf. sur ce point la définition des opérations ouvrant droit aux régimes spéciaux prévus en faveur des fusions et scissions de sociétés au BOI-IS-FUS ).
L'article 209-II prévoit que, sous réserve d'un agrément préalable délivré par le ministre chargé du budget et dans la mesure définie par cet agrément, les fusions de sociétés et opérations assimilées qui entrent dans les prévisions des article 210 A du CGI et article 210 B du CGI peuvent ouvrir droit, au report des déficits antérieurs non encore déduits soit par les sociétés apporteuses, soit par les sociétés bénéficiaires des apports, sur les bénéfices ultérieurs de ces dernières.
Dans une espèce où l'agrément ministériel prévu par les dispositions de l'article 209-II du CGI avait été accordé à l'apport partiel d'actif effectué par une société A à une société B et ouvert droit, à concurrence d'une somme de 3 000 000 F (457 347 €), au report sur les bénéfices de la deuxième de ces sociétés des déficits antérieurement subis par la première, celle-ci prétendait imputer sur ses propres résultats le reliquat desdits déficits.
Le Conseil d'État a jugé que, dès lors que le montant des déficits dont le report était autorisé avait été fixé à 3 000 000 F (457 347 €) par la décision ministérielle d'agrément laquelle n'a pas statué sur le sort de ce reliquat, qui n'a d'ailleurs pas été visé dans la demande, la société A n'est pas fondée à soutenir qu'elle est en droit de déduire la partie des déficits qui n'avait pas fait l'objet d'un report sur les bénéfices de la société B (CE, arrêt déjà cité du 7 janvier 1985, n°s 34936 et 34937).
280
Les sociétés bénéficiaires des apports qui ont obtenu l'agrément préalable du ministre en charge du budget, peuvent donc être admises à déduire des bénéfices provenant, postérieurement au regroupement, des exploitations qui leur ont été apportées ou de leurs exploitations originaires :
- soit les déficits subis par les sociétés apporteuses et non encore déduits lors de la réalisation des apports, bien que les unes et les autres sociétés aient chacune une personnalité distincte ;
- soit leurs propres déficits constatés antérieurement à la réalisation des apports et encore reportables, sans que la déduction opérée puisse être contestée ultérieurement par la procédure de répression des abus de droit prévue à l'article L64 du LPF.
290
Concernant les conditions de délivrance de l'agrément, le II de l’article 209 du CGI prévoit que l’agrément est délivré lorsque les trois conditions suivantes sont réunies :
-l’opération est placée sous le régime de l’article 210 A du CGI ;
-elle est justifiée du point de vue économique et obéit à des motivations principales autres que
fiscales ;
-l’activité à l’origine des déficits dont le transfert est demandé doit être poursuivie pendant un délai
minimal de trois ans.
Les modalités d'exercice du pouvoir d'agrément résultent des termes des articles 170 sexies de l'annexe IV au CGI.
Ces dispositions sont commentées au BOI-SJ-AGR-20-30.
Pour les opérations intervenues en 2004 et concernant des exercices ouverts à compter du 1er janvier 2004, le transfert des déficits s'effectue sans limitation de durée de report chez la société bénéficiaire de l'apport; ce droit au report illimité concerne par conséquent les déficits nés au cours d'exercices ouverts à compter du 1er janvier 2004 et ceux restant à reporter à la clôture de l'exercice précédant ledit exercice.
Ces modalités valent également en cas de transfert sur agrément, au profit de sociétés membres d'un nouveau groupe des déficits de la société absorbée ou scindée lorsque celle-ci était elle-même société mère d'un groupe fiscal (alinéa 6 de l'article 223 I du CGI).
2. Conséquences de l'admission conditionnelle de la rétroactivité juridique des fusions de sociétés
Remarque : Sur la question de la rétroactivité juridique des fusions de sociétés, cf. BOI-IS-FUS-10.
300
Par un arrêt du 12 juillet 1974 (req. n° 81753, RJ, n° II, p. 114), le Conseil d'État a jugé, dans le cas d'une fusion de sociétés, que dans la mesure où la rétroactivité donnée par les parties à l'acte d'apport ne remonte pas à une date antérieure à celle de l'ouverture de l'exercice au cours duquel la convention a été conclue, la société absorbante est en droit, pour la détermination de ses résultats imposables, de prendre en compte, dans le premier bilan établi après fusion, les déficits provenant de la reprise des opérations de la société absorbée depuis la date d'effet de la rétroactivité fixée dans le contrat.
310
Cette jurisprudence est fondée sur la définition du bénéfice industriel et commercial imposable, qui correspond, en vertu de l'article 38 du CGI (applicable en matière d'impôt sur les sociétés aux termes de l'article 209 du CGI), aux résultats d'ensemble des opérations de toute nature effectuées par l'entreprise entre les dates d'ouverture et de clôture d'un exercice. Parmi ces opérations figurent celles résultant des contrats conclus pour la gestion de l'entreprise même si un effet rétroactif leur est attaché à condition qu'ils aient été passés avant la clôture de l'exercice dont ils affectent les produits ou les charges.
320
Les conséquences de cette rétroactivité peuvent donc affecter les résultats de l'exercice au cours duquel de tels contrats ont été conclus, mais ne peuvent en aucun cas conduire à rectifier ceux des exercices précédents.
330
Cette solution implique que le contrat de fusion et la clause de rétroactivité qu'il comporte s'inscrivent dans le cadre d'une gestion commerciale normale. Il convient donc, dans chaque cas, de s'assurer que la fusion ne recouvre pas, en réalité, une opération inspirée par des préoccupations de pur intérêt fiscal. Il en serait ainsi, notamment, s'il apparaissait que la fusion a essentiellement pour cause l'économie d'impôt résultant de la compensation entre les bénéfices de la société absorbante et les pertes de la société absorbée.